Mes premiers pas sous /e/OS

juillet 9, 2025 - Temps de lecture: 11 Minute(s))

Après deux jours de transition vers mon nouveau Fairphone 6 Murena tournant sous /e/OS, j'ai déjà eu quelques bonnes et quelques mauvaises surprises.

Pourquoi ce changement? J'y reviendrai peut-être, mais c'est la suite de réflexions et de sentiments que je poursuis depuis quelque temps déjà. Je viens d'un monde en ligne (qu'on appelait alors encore le Cyberespace) qui n'existe plus. Ou du moins, le croyais-je... En réalité il existe toujours, mais il a été "invisibilisé" par plusieurs changements sociétaux, essentiellement liés aux (très) gros sous d'une petite élite qui, à mes yeux, se révèle de plus en plus dangereuse. Mais ceci est une autre histoire...

Vers une libération digitale

Comprenons-nous bien: ma démarche toute personnelle n’est pas liée à une nostalgie du passé, à une envie de revenir en arrière, mais bel et bien à une envie de porter les choses plus en avant pour moi, de retrouver les promesses merveilleuses du WWW des débuts. "This is for everyone": indeed it is, Sir Tim Berners-Lee! Comme disait Henri Cartier-Bresson: "je n'ai aucun message à délivrer, rien à prouver", je n’ai pas de leçons à donner à personne, je n’écris pas ici pour vous conseiller ou pour vous convaincre, mais juste pour chroniquer ce moment de changement pour moi-même et voir s’il porte quelque-part ou s’il s’agira d’un pétard mouillé.

Cela fait déjà quelque temps que je procède petit à petit à une libération numérique. Le plus facile a été de me libérer des soi-disants "réseaux sociaux". Ne devant plus m'en occuper professionnellement, j'ai pu plus ou moins m'en débarrasser en faveur de quelques communautés bien plus agréables et constructives sur le Fédivers.

Mais ceci est une autre histoire... Tout comme celle liée à la libération numérique de mon ordinateur: facile pour celui personnel, mais pas encore possible pour celui professionnel.

Par contre, il faut bien l’admettre: l’ordinateur que nous tous utilisons le plus au quotidien désormais ne se trouve ni dans un bureau, ni quelque part sur une table à la maison, mais il est dans nos poches ou dans nos sacs. Les téléphones portables représentent à la fois une innovation technique merveilleuse pour le geek que je suis (et souvent je me demande avec quel regard émerveillé mon arrière-grand-père ingénieur les aurait découverts), mais également des outils d’auto-esclavagisme créant en nous une dépendance numérique certaine.

J’exagère? Que diriez-vous alors de l’expression utilisée par Gaël Duval, que certains anciens comme moi se rappelleront peut-être de l’époque dorée de Mandrake Linux? Il parle, lui, carrément de "viol numérique". Et franchement, l’expression est forte mais très pertinente, malheureusement!

Mais revenons à nos moutons...

Bon, en fait je voulais écrire ici au sujet de quelques premières impressions au sujet du Fairphone 6 (FP6) et de /e/OS.

La question d’un téléphone plus durable et éthique m’était déjà acquise, j’étais de plus à demi-fasciné par les quelques détails fuités au sujet du FP6. À partir d’un bris d’écran de mon ancien Google Pixel 8a juste quelques semaines avant la sortie du nouveau modèle de l’entreprise néerlandaise, l’occasion était trop belle pour ne pas faire le saut!

Une expérience d'achat mitigée

Bon, avouons-le tout de suite: l’expérience d’achat chez Fairphone n’a pas été des plus brillantes. Avant tout, le prix annoncé sur le shop a pour moi subitement augmenté une fois l'article passé dans le panier… J’attribue cela toutefois non pas à de la malhonnêteté de leur part mais à l’application des taxes et de la TVA une fois que le panier a été renseigné sur le fait que je me faisais livrer en Suisse. Et c’était avant payement, donc en soi pas de mauvaise surprise sur ma carte de crédit. Cependant, cela aurait mérité plus de clarté dès le départ.

Par contre, leur site était peut-être sous une charge excessive suite à la sortie du nouveau FP6, j’en sais rien, mais quelle confusion! J’ai bien acheté un Fairphone 6 avec /e/OS préinstallé, mais dans le mail de confirmation aucune indication de ce détail... Ayant tout de suite contacté leur support, je dois dire que j’ai été par contre bien pris en main. Vérification faite, la commande leur résultait bien pour un Fairphone 6 sous "stock Android", soit entièrement googlisé comme mon ancien Pixel. Et impossible de changer la commande après coup. Malheureusement, l’annulation de cette dernière est arrivée trop tard avant l’envoi (bon point pour eux: ils sont rapides dans le traitement), et donc je dois attendre le retour du paquet chez Fairphone avant d’obtenir mon remboursement. Affaire encore à suivre, mais je reste quand même modérément confiant.

Je suis donc passé directement par Murena pour ma deuxième commande. Si je ne l’avais pas fait auparavant, c’est parce que en passant par eux le prix est tout de même pas mal plus élevé pour la Suisse… J’ai pas fait le calcul exact, mais je parle ici d’un ordre de 20% plus élevé. Oui, ça pique! Bon, j’ai avalé l’amère pilule et tout de même procédé à la commande. Et là, je dois dire que tout s’est bien passé. Quelques jours après, le paquet arrivait directement dans ma boîte aux lettres, avec également un petit dépliant et quelques autocollants Murena en prime.

Mais avouez que pour une personne moins patiente et compréhensive que moi, ce ne serait pas une expérience d’achat brillante, voire carrément anxiogène… Hélàs, si en Suisse on trouve des Fairphones en magasin, ils sont tous sous la version Google d’Android. Si on veut avoir un modèle sous /e/OS, soit on passe par un achat en ligne, soit on bidouille avec le cœur bien accroché pour l’installer soi-même. Lisez bien la doc et les forums si vous choisissez cette voie, elle n’est pas sans risque de briquage de votre téléphone!

Un téléphone pas mal fichu du tout

Le téléphone donne tout de suite une très bonne impression. Il arrive déjà chargé (à 63%, dans mon cas). Un peu plus épais que le Pixel 8a, mais son écran se révèle fort agréable et a du répondant. La qualité de construction donne une impression de solidité, malgré la coque en plastique, et le design me plaît bien ainsi que le choix de couleurs (le modèle vert m’a tout de suite conquis!).

Je verrai à l’usage pour le reste. Je m’attends déjà à une qualité moindre des photos, mais le Pixel 8a joue vraiment dans une catégorie d'excellence sur ce point (aidé toutefois par un traitement logiciel non indifférent des clichés).

Par contre, en ce qui concerne /e/OS j’ai tout de suite eu l’impression de faire un plongeon en arrière de quelques années. Ce n’est pas un mal en soi, mais je réalise à quel point je prenais certaines choses comme acquises sur mes androphones précédents. Visiblement, il y a aussi des choix stricts et "opinionated" derrière l’interface du lanceur par défaut Bliss, mais je dois encore me faire à une interface qui est visiblement très inspirée des iPhones d’il y a quelques années… C’est toutefois une question d’habitude, et je sens que je vais pouvoir m’y faire avec un peu plus de temps.

En ce qui concerne la "dégooglisation" de mes services en ligne, ce n’est pas trop un problème en ce qui me concerne: j’avais déjà procédé dans ce sens depuis quelque temps, je ne me retrouve donc pas totalement dépaysé. Je pensais que j’aurais de la peine à me passer de Google Maps, mais l’appli par défaut (une reprise de Magic Earth) a l’air pas trop mal et j’avais découvert depuis quelque temps déjà coMaps que j’ai également installé. Pour le reste, je verrai à l’usage.

Le chemin vers la décolonisation digitale est encore long

Non, l’appli du géant de Mountain View qui me fait pour le moment encore défaut est plutôt… Google Photos! Je remercie donc la présence de microG, que je garde actif essentiellement pour avoir encore Google Photos temporairement. Je travaille sur une alternative, et oui: j’ai déjà entendu parler de et je suis avec intérêt Immich!).

MicroG me permet également de garder WhatsApp avec une possibilité de sauvegarde sur mon compte Google. Oui, je sais, je sais... Mais avec une famille italienne impossible de s’en défaire pour le moment! Il y a encore beaucoup de travail à faire dans la Botte pour les libérer d’une énorme dépendance des États-Unis, ainsi que d’autres puissances étrangères. Mais ceci est une autre histoire... Pour l’instant, j’essaye de me décoloniser digitalement moi-même, pour décoloniser la nation de ma famille de cœur il faudra prévoir un petit délai…

Quand aux incompatibilités logicielles, certaines ne sont pas une surprise: quelques applis bancaires, même si étonnamment d’autres fonctionnent sans soucis. Il y a tout de même une banque à laquelle ça ne m’enchante pas de renoncer, mais je m'y ferai.

D’autres le sont un peu plus... Je ne me serais pas attendu à ce que la migration de WhatsApp se passe sans anicroche, mais que celle de Signal ne fonctionne pas, par exemple! Je vais devoir approfondir, car cela m’embête profondément. Mais j'y reviendrai sans doute dans un autre billet.

Dans l'ensemble, ça se passe bien

S’il devait s’agir d’un premier téléphone, je n’aurais rien à dire. L’espace "bureau virtuel" sous murena.io fonctionne bien et se synchronise sans soucis avec le téléphone, et la recherche et l’installation d’applis via le "store" officiel fonctionne bien. J’ai par contre dû procéder à un export/import manuel de mes contacts de l’ancien au nouveau téléphone, ce qui ne serait pas une manipulation triviale pour tout le monde. Ce n'est cependant pas non plus de l’ingénierie de haut niveau.

Je regrette juste que tous les projets open source sur lesquels les applis par défaut de /e/OS sont basées (à l’exception de l’appli Maps, qui est propriétaire) soient un peu cachés derrière le rebranding de Murena, mais je ne pense pas qu’il y ait malice là-derrière. Juste un certain excès de zèle pour simplifier les choses pour l’usager final. Qui, avouons-le, dans la grande majorité des cas s’en bat un peu les nouilles de ce genre de détails… Sauf que justement, la clientèle optant pour /e/OS est probablement plus sensible à ce genre de choses.

Murena sans "Moments"

Un grand, très grand regret toutefois: la fonction "Moments" du Fairphone 6 n’existe pas sous /e/OS! 😕 Le joli petit commutateur jaune acidulé sur le côté du téléphone se contente de désactiver caméra et microphone. Et non, je n’ai pas trouvé (encore?) de possibilité de changer sa fonction. Il semblerait qu’il y ait quelque-chose de prévu pour remédier à cela, toutefois: espérons que Murena sera réactive sur ce coup-ci!

La possibilité d’avoir un smartphone pouvant être basculé en mode dumbphone d’un simple switch, via un simple commutateur, m’alléchait bien et y était pour beaucoup dans mon choix d’attendre la sortie du nouveau modèle de Fairphone. Au point que j’ai même hésité une seconde (mais une, hein!) à profiter de la politique de renvoi dans les 14 jours de Murena pour reprendre un modèle sous "stock Android". Fort heureusement, cet instant de folie m’est presque aussitôt passé: le prix à payer en données personnelles, espionnage, traçage et enrichissement d’un système qui court à notre perte, sauf celle d’une élite auto-proclamée, est beaucoup trop cher!

Me voici donc, pour mon ordinateur de poche, avec une solution un peu plus européenne, un peu plus durable et éthique, un peu plus limitée aussi. Mais ces limitations poussent aussi gentiment aussi à une détox numérique, ce n’est donc pas un mal. C’est juste le début du chemin, et j’ai déjà pu constater que l’attrait de revenir à une plus grande dépendance des GAFAM peut être fort. Ils proposent des produits efficaces, les fourbes! Mais je suis content et convaincu de ma Wende personnelle, de ce changement, et je suis curieux de voir ce que cela me portera à l’avenir.